Le cabinet mandaté par les élus afin d’effectuer l’expertise des résultats et orientations communiqués par la direction a présenté le 13 juillet ses conclusions. Elles éclairent et facilitent grandement la réflexion sur la réorganisation/scission annoncée.

La croissance externe a été mal maîtrisée

Acheter sans cesse des sociétés comme l’a fait Atos ces dernières années est certes un moyen facile de se payer de la croissance externe. Mais il est plus difficile de mener à bien le travail indispensable d’intégration qui doit accompagner ces acquisitions. Faute de l’avoir fait, Atos voit s’effriter semestre après semestre la croissance chèrement payée. L’acquisition au prix fort de Syntel est un échec à mettre au passif de la stratégie « Breton », la filiale ne parvenant pas à saisir les opportunités de l’offshore sur un marché européen pourtant propice. Les difficultés du groupe à transformer ses commandes en chiffre d’affaire et en marge interroge. Seule la vente de Worldline a permis de contenir pendant un temps le déficit de trésorerie. Le groupe se trouve maintenant dans une situation difficile. Montrer une capacité à dégager du « cash » est désormais primordial pour s’attirer les bonnes grâces des marchés et des actionnaires

Le groupe est en retard sur ses compétiteurs

Entre 2015 et 2021, le groupe a fait du surplace pendant que ses compétiteurs progressaient.
Certes, le marché de l’infrastructure est en repli mais sur ce marché Atos recule plus que ses concurrents.
L’année 2022 est cruciale et, de l’avis de l’expert, le groupe doit absolument redresser sa trésorerie pour
« rassurer le marché ». Des actifs vont devoir être cédés dès 2023 afin de participer au financement des coûts immédiats de restructuration. Les pertes à venir sur certains contrats requièrent quant à elles des actions correctives immédiates. Mais lesquelles ? Et pour quel impact social ? Enfin, BDS, regardée comme une « pépite », ne pourra pas le rester éternellement si les coûts de restructuration du groupe impactent négativement les capacités de croissance de la division, laquelle doit atteindre une taille critique dans un marché en train de se consolider très vite.

Un projet de scission peu convaincant

De l’avis de l’expert, le projet présenté par la direction d’Atos n’est pas abouti, car il se borne à un schéma directeur. Certes, des choix sont faits, par exemple l’abandon d’une stratégie consistant à couvrir de bout en bout l’intégralité du marché en agrégeant des activités différentes. Conséquence de ce choix, l’organisation verticale par industries « SPRING » si laborieusement déployée n’est plus pertinente, elle est donc abandonnée.
Quant au programme « LEAP » qui visait à fabriquer de toutes pièces non seulement une nouvelle culture groupe, mais aussi le « collaborateur nouveau » en reformatant la pensée et les comportements des salariés (rien que ça !), il est également arrêté, voilà au moins une bonne nouvelle.
Mais en l’état, le plan n’est guère convaincant. Etiré sur une longue et incertaine période de 5 ans, il ne va pas au-delà des orientations stratégiques. Les actions à engager pour développer chacune des deux futures sociétés restent à définir. Or les synergies dans les choix effectués ne sont pas évidentes : le mariage de BDS avec le pôle « digital » ne va pas de soi ; de même pour l’entité « décarbonation » qui reste quelque peu nébuleuse…
Par ailleurs, les moyens prévus pour la requalification, dite « reskilling », des équipes sont très – trop – en retrait en regard des coûts très élevés consentis pour la restructuration, dans un rapport de 1 à 10 ! En synthèse les moyens engagés pour créer la croissance annoncée sur les prochaines années ne sont pas à la hauteur des ambitions. La Recherche & Développement, notamment, est sous-financée en regard de celle de la concurrence.

Evidian (SpinCo) : faut-il refaire Bull ?

En d’autres termes, créer Evidian ne revient-il pas à reconstituer le groupe Bull avant son intégration à Atos ? La question est pertinente : les activités issues de Bull ont bénéficié grâce à Atos d’un plus large accès aux marchés mais le groupe s’est montré incapable d’en appréhender les spécificités. L’intégration sans intelligence dans un modèle SSII inadéquat a été préjudiciable à plus d’un titre. La scission pourrait alors être vue comme le moyen de débarrasser ces activités des pesanteurs kafkaïennes d’Atos, mais au risque de s’exposer à la mainmise d’un autre groupe…
Il s’agit avant tout de préserver « ce qui fonctionne » ! Aujourd’hui, le flux de trésorerie de ces activités n’est pas satisfaisant et dénote une dégradation des résultats qui seraient pourtant positifs sans les coûts de restructuration passés et à venir, notamment ceux résultant de la fumeuse – et désormais avortée – réorganisation « Spring », les coûts d’acquisition de nouvelles sociétés, sans oublier les distributions de dividendes. La valorisation de la future société Evidian est estimée à environ 5 milliards d’euros – très supérieure à la valorisation actuelle d’Atos – dont 2,5 milliards pour la seule activité de cyber sécurité (hors dettes évaluées à environ 2 milliards). Mais Evidian devra atteindre des objectifs de productivité exceptionnels afin de rembourser la dette de restructuration d’Atos.

Risque d’OPA sur Atos ?

Quid si un groupe lançait maintenant une OPA sur Atos ? Par exemple Thales, ce que le gouvernement verrait parait-il d’un bon œil. C’est une éventualité, surtout au vu de la dégradation actuelle du cours en bourse. Néanmoins, la direction oppose à cette éventualité un argument inattendu : dans le rachat du groupe entrerait aussi en compte le poids du passif : dettes, coût des infrastructures vieillissantes, etc. Ce qui dévaloriserait grandement les garanties de retour sur investissement du repreneur. En somme, la mauvaise situation du groupe le protègerait d’une OPA… Pour le dire plus crûment, les éventuels repreneurs préfèrent en général laisser la direction faire le sale boulot de liquidation et de désossage avant d’avancer leurs pions.

Inquiétudes sociales

La réduction des coûts pour remplir la caisse, passera comme à chaque fois par des actions à court terme :
« juniorisation », « offshorisation », « travel freeze », etc. La direction dit qu’il n’est pas prévu de plan social ni de projet d’externalisation en France sur les 18 mois à venir. La croira qui veut… Des cessions d’actifs vont en tout cas être effectuées, pour environ 500 millions d’euros courant 4ème trimestre 2022. Quels actifs ? La direction prétend que les arbitrages n’ont pas été fait à ce jour. L’Europe du sud, dit-elle, devrait atteindre ses résultats et donc ne pas être affectée. Les autres zones (Europe centrale, USA) pourraient en revanche subir des gels d’embauches, de frais de déplacements, de formations… ou pire. A la question « Atos a-t-il vocation à conserver une présence mondiale ? », la direction répond non. La cession de zones géographiques est donc envisagée pour financer la restructuration. La finalisation d’un plan social en Allemagne est déjà en cours, de même que la réduction des activités d’infrastructure / infogérance aux Etats Unis.
L’amélioration de la marge des activités émergentes risque fort de passer comme d’habitude par des actions préjudiciables aux salariés, encore et toujours regardés comme une variable d’ajustement économique. Mais est-ce bien intelligent avec un marché de l’emploi aussi concurrentiel sur ces secteurs ? Quant aux activités historiques, elles vont subir la contraction du marché, l’obsolescence de certains datacenters…

Pourtant, aucune action d’envergure de formation et d’accompagnement des salariés n’est annoncée.


La rentrée risque donc d’être difficile. En France, même si l’employeur a souvent le dernier mot, le droit du travail – ou ce qu’il en reste – demeure protecteur dans une certaine mesure. Vos élus CGT n’épargneront pas leurs forces. Mais le principal levier pour infléchir les orientations de l’entreprise dans un sens plus favorable aux salariés demeure bien sûr la mobilisation des salariés eux-mêmes ! A bon entendeur