Un itinéraire professionnel, c’est une œuvre de longue haleine. Et comme dit le proverbe, “ qui veut aller loin ménage sa monture ”.

Le monde des entreprises de services du numérique (ESN) n’est pas ce qui se fait de plus “ soft ” pour démarrer dans la vie professionnelle. Rappelons (pour rester dans un registre syndical) que le but actuel des entreprises est de dégager des profits : c’est le cas pour les entreprises clientes (ou du moins respecter un budget) et c’est vrai pour les ESN, pour qui la rentabilité est une obsession.

A partir de là, le premier paramètre est la négociation commerciale pour obtenir des contrats : en fonction de cette négociation, votre tâche sera plus ou moins facile. De toute façon, tout début de mission n’est jamais facile.

Cependant, il convient de ne pas intérioriser les contraintes (et écrire ceci n’est pas faire l’apologie de l’irresponsabilité, du “ démerde-toi, c’est pas mon problème ”). Un planning par exemple, c’est comme un bulletin météo : c’est une estimation, il y a une marge d’erreur plus ou moins importante (encore que cette comparaison ne doive pas éclipser le fait que les plannings sont les fruits parfois indigestes de décisions humaines et non pas de phénomènes naturels). Le projet peut déraper, malgré toute votre bonne volonté. Vos qualités ne sont pas en cause : il n’y a pas lieu de vous culpabiliser, ni de multiplier les heures (gratuites) pour tenir les délais. Il y a simplement lieu de signaler sans complexe les difficultés.

Ce qui reste constant, c’est la déclaration du « Reste à faire » (RàF) sur vos tâches : avec les méthodes Agile, c’est toujours le cas par rapport aux décennies précédentes. Le RàF auto-estimé reste une estimation, pas un engagement. Il n’y a pas lieu de se torturer l’esprit quand on prend un peu de retard.

S’il est naturel de vouloir faire ses preuves en s’adaptant aux situations, il convient de ne pas se laisser impressionner. Il faut en premier lieu comprendre ce que l’on attend de vous. C’est apparemment simple : mais rappelons-nous que nous avons une double hiérarchie, celle du projet (le client) et celle de l’entreprise (ATOS/EVIDEN) avec une même logique de rentabilité et des relations politico-commerciales où votre prestation est la marchandise… Votre prestation, pas vous : le management (forcément rusé) sait faire vibrer les cordes qui vous font vous impliquer et donner davantage de votre personne, cordes telles que l’abus de responsabilisation, le narcissisme, l’esprit de corps et autres attrape-nigauds.

Votre prestation consiste à la fois à mettre en œuvre un savoir-faire technique et à tisser des relations : le relationnel est aussi important que les savoirs technologiques. Il n’y a rien de plus désagréable que des relations non marquées par la confiance. Il n’est pas rare de voir des gens terrorisés par le fait de ne pas “ tenir leur rang ”, tellement elles ont intériorisé les contraintes : si ces personnes sont en situation de commandement, elles arrivent, parfois malgré elles, à vous transmettre leurs angoisses. C’est ainsi que marche l’économie : en maintenant la peur de haut en bas de l’échelle, par la terreur physique dans certains pays (y compris le nôtre), par le harcèlement ou les pressions morales souvent, conscients ou pas.

Or, le système scolaire, s’il sait faire de nous d’excellents techniciens et ingénieurs, ne nous arme pas (ou si mal) à être à l’aise relationnellement parlant et à être maîtres/maîtresses de nos émotions. Ce travail reste à faire et à refaire, y compris et peut-être surtout en milieu professionnel. Il consiste à faire preuve de solidarité et d’empathie, à porter intérêt à autrui, à résister ensemble aussi, car (ne l’oublions pas) tout solidaire et sympathique qu’on soit, on reste face à un système productif dont la finalité reste de réaliser des profits et donc où les conflits d’intérêts demeurent…

Alors peut-être qu’alors seulement, on pourra commencer d’envisager de … de parler de plaisir au travail, un plaisir que nous ressentons parfois, mais qu’il est difficile de maintenir tout au long d’un parcours professionnel qu’on nous prédit aujourd’hui d’une durée de 43 années : 43 des plus belles années de notre vie consacrées au travail, c’est à se taper la tête contre les murs et on voit bien que l’enjeu d’un minimum de bien-être, de santé et de plaisir au travail est primordial. Car quels que soient les efforts de chacune et chacun pour essayer d’approcher cet objectif (ou s’en éloigner le moins possible), ces efforts rentrent en contradiction ou en conflit avec la logique économique des entreprises qui est de dégager des profits, le plus souvent à court terme, en comprimant les “ charges ” (nos salaires, nos retraites futures, nos prestations sociales), en réduisant régulièrement le personnel et en augmentant la productivité du travail de celles et ceux qui restent.

D’où nécessité d’un syndicalisme fort, c’est-à-dire porteur de réflexions et d’actions collectives en vue de défendre nos intérêts communs face à la machine économique, mais aussi envisager les formes futures d’organisations économiques et sociales débarrassées de la misère et de l’exploitation et capable de tenir compte des errements du passé pour ne pas les reproduire. Ce projet s’inscrit à la fois dans le quotidien et le plus long terme (et n’est sûrement ni triste, ni austère). En outre, il n’est pas définitivement balisé et ficelé (de sorte que nous n’aurions plus qu’à suivre des avant-gardes éclairées et auto-proclamées), mais attend beaucoup de vos réflexions.