Le SEC (Social & Economic Council) est l’instance représentative du personnel au niveau Européen. Cette instance a été appelée à donner son avis – consultatif – sur le projet de scission Boost, avis rendu ce 7 décembre a l’issu de plusieurs mois d’échanges.

Malgré le souhait des délégués CGT de ne pas avoir une rédaction bâclée de l’avis du SEC sous la pression des délais imposés par la Direction, et du fait du manque d’informations précises sur les réductions d’effectif, ce document a été rédigé jusque fort tard les 5, 6 et enfin 7 décembre.

Dès la session de travail du 6, la Direction se réjouit de l’annonce de rendu prochain d’avis (préalable à la matérialisation de prime d’atteinte d’objectif en centaine de milliers d’euros pour certains membres de cette Direction), déclare qu’aujourd’hui elle répondra à « toutes les questions qui resteraient », puis se lance sur des sujets dilatoires.

Lorsque les délégués des salariés ramènent le débat sur les chiffres de réductions d’effectif calculés en Juillet et demande si ces volumes seront recalculés, il est répondu qu’il « est possible que ce soit le cas, on le reverra au début de l’année 2023 et tous les 6 mois ».

Fin janvier chacun aura son affectation Evidian/Atos mais il sera possible de contester pendant 3 jours, puis le manager prendra une décision.

L’affectation des personnes encore non « dispatchée » devrait être terminée le 16 décembre. On ne sait pas actuellement combien de personnes cela représente. Pour la CGT cela est un obstacle de plus pour donner un avis éclairé. Le « Head of Group Human Ressources » dit qu’il n’a pas la réponse et que les représentants peuvent donner un avis sur la base des seules informations connues.

Lors de la reprise des travaux de rédaction d’avis sans la Direction, la CGT indique qu’elle ne soutiendra pas un avis qui ne contiendrait pas explicitement le terme de « négatif » dans la conclusion :  Nous avons gain de cause avec un vote donnant 5 personnes sont pour enlever le terme négatif, 3 abstentions et 23 représentants pour que le terme de négatif » reste dans l’avis.

L’avis est présenté à la Direction le 7 à 16h.

Syncea – expert du SEC – présente son rapport à la Direction qui le juge « très intéressant, merci ».

Le secrétaire lit ensuite les réserves et la conclusion, négative.

La Direction prend acte, indique que cet avis est très riche et qu’elle doit l’étudier et réserve sa réponse pour plus tard.

L’avis est mis au vote des représentants : 29 Pour, 2 Contre.

L’avis voté la Direction, a l’exception du « Head of Group Human Ressources » qui vient saluer chaque délégué un par un « Thank you », s’esquive et disparait sans un mot comme ils sont venus.

Un impératif : le « Head of Group Human Ressources » veut le document ce soir ! Et les délégués de s’y mettre une fois de plus jusqu’à 20h. Beaucoup considèrent que l’absence de la direction à la suite de la lecture de l’avis témoigne du peu d’intérêt porté au contenu, voire d’un irrespect de l’instance.

Les délégués CGT on fait au mieux en amendant ici et là les réserves et conclusions et bataillant pour conserver l’expression négative dans cette opinion qui est un minimum qui nous a fait signer.

Le feu vert est néanmoins donné pour la Direction, même si le document met en rouge les erreurs stratégiques commises par des dirigeants toujours en place, l’opacité des mesures de réductions d’effectif (7 500 en Europe !), l’absence de vision stratégique. De plus, le SEC n’a été consulté que sur le projet dit Boost mais 5 autres projets avaient été présentés aux Administrateurs, à se demander si cela ne constitue pas en soi une entrave au bon fonctionnement de l’instance. A suivre !

Maintenant, que dit pour l’essentiel cet avis ?

CONTEXTE

Problèmes auxquels doit faire face le groupe selon la Direction :

  1. Problèmes structurels : mauvaise allocation de la force de vente et des ressources commerciales, manque de productivité et coûts de main-d’œuvre et G&A élevés.
  2. Problèmes circonstanciels : dispersion des ventes et faible marge commerciale entrainant une baisse de la génération de cash.
  3. Problèmes liés à l’absence de dynamique de marché et de défis communs : les segments de marché cibles et les opportunités de marché des BDS/numériques diffèrent de ceux des Tech Foundations.

Le principal contenu du projet Boost est :

  1. Division en deux groupes (a) “New” Atos et (b) Evidian
  2. Recentrer sur un portfolio de services et développer de nouveaux services pour chaque groupe
  3. Réduction d’effectifs dans “New” Atos
  4. Reskilling/upskilling des salariés restants en fonction du nouveau portfolio
  5. Les modalités de financement sont :
    • Prêts à Atos par de groupements bancaires
    • Atos doit assurer son propre financement en vendant des actifs (avant le 1er juillet 2024)
    • Atos doit respecter le covenant fixé par les banques (contrôles continus)
    • Evidian supportera toutes les dettes d’Atos « actuel »
    • Atos détiendra 30% des actions d’Evidian (à vendre pour financer le redressement d’Atos après le 1er juillet 2023), 70% seront remis gratuitement aux actionnaires actuels d’Atos.…

Alors que l’objectif central du projet BOOST est de scinder le groupe Atos en deux entités distinctes, -Evidian et Tech Foundation-, le projet repose sur la cession d’une partie des activités du groupe visant à réduire l’endettement afin de maximiser l’avantage des actionnaires.

Comprenant la situation financière difficile du groupe, où son avenir durable est en jeu, le SEC tient à rappeler que cette situation est le résultat de décisions stratégiques à courte vue prises ces dernières années. Le Groupe s’est concentré uniquement sur l’acquisition d’entreprises dans le passé et a raté l’occasion de se centrer sur ses activités et également de vendre des activités afin d’être financièrement plus stable. Désormais, les salariés confrontés à une perte d’emploi en subiront les conséquences

Atos s’appuyait jusqu’à présent sur une approche de croissance externe et, dans le même temps, n’a pas été en mesure de créer les synergies nécessaires en termes de compétences et de revenus, car focalisant constamment sur l’aspect coûts plutôt que sur le développement. Bien que ces acquisitions aient été positives en termes de marges, la croissance attendue n’a pas pu être atteinte. Le résultat de cette « course à la taille » était trop complexe et difficile à appréhender tant pour les clients que pour les équipes commerciales. La difficulté à retenir les salariés lors de ces acquisitions a également eu un impact négatif sur les transferts de compétences qui auraient dû avoir lieu.

Le manque de compréhension du marché et le passage manqué au cloud ont pesés lourdement sur les résultats. Depuis, Atos n’a pas été en mesure de rattraper ce retard et d’investir des parts de marché suffisantes pour générer de la croissance. La concurrence des « hyperscalers » (Amazon, Microsoft et Google…) a également privé de nombreuses entreprises du numérique, dont Atos, de pans entiers de la chaîne de valeur. Le manque d’investissements en recherche et développement -autre activité de réduction des coûts- accumulés durant ces années a seulement permis à Atos d’être en position de suiveur et les partenariats avec les hyperscalers ne sont arrivés que tardivement.

Une autre décision stratégique défavorable a été le manque d’investissement dans la reconversion et l’amélioration des compétences des salariés. Couplés au manque d’investissement dans l’innovation, ces éléments ont inévitablement conduit à une rupture de la croissance organique et à une perte de parts de marché. Atos fait désormais les frais de ces décisions stratégiques du passé qui ont conduit à considérer les investissements dans l’innovation et la formation comme des variables d’ajustement en anticipation des résultats financiers du Groupe. L’accent a été mis sur la quantité plutôt que sur la qualité.

Le SEC ne peut que constater que la feuille de route présentée le 14 juin 2022 est avant tout une feuille de route financière plutôt qu’une feuille de route de stratégie industrielle détaillée.

Le SEC note qu’il s’agit plutôt de valoriser favorablement le futur Evidian, de rembourser la dette, de financer le plan de réorganisation de Tech Foundations et le plan d’accélération d’Evidian (augmentation de la marge), et donc de maintenir une image d’investissement favorable pour Evidian.

Sur le plan industriel, le manque de clarté sur les sujets clés cloud et cybersécurité laisse présager des risques de concurrence dans ces domaines entre les futures Evidian et Tech Foundations.

 Si la direction affirme orienter les deux futures sociétés vers une stratégie de spécialisation de leurs portefeuilles, elle ne déroge pas au mode de mise en œuvre actuel, qui a démontré ses effets néfastes ces dernières années. Ainsi, même si la direction a tardivement évoqué une volonté de stratégie de différenciation, annoncée mais non définie, et a reconnu le vivier de compétences présent sur le terrain européen, ses différentes communications font référence à une stratégie de domination par les coûts, basé sur le benchmarking avec ses concurrents, stratégie soutenue et conseillée par Mc Kinsey. McKinsey est connu pour ses programmes de réduction des coûts et non pour son innovation. Que ce soit du côté d’Evidian ou de celui de Tech Foundations, la soi-disant « juniorisation » des équipes (perte de compétences), délocalisation (perte de connaissance du terrain) – et automatisation sont privilégiées par le management.

Le SEC souhaite affirmer qu’une autre voie est possible en termes de stratégies industrielles des futures entités que celles esquissées lors de cette information/consultation. A la logique de domination par les coûts, qui n’a nullement prouvé son efficacité, opposons une stratégie de différenciation sur les régions Europe et Amérique du Nord, fondée sur le vivier d’expériences, d’expertises et de compétences des collaborateurs, sur une solide politique de valorisant les compétences et sur un plan d’investissement dans l’innovation digne des entreprises de services numériques de cette envergure.

 

Divers points, points divers

Réduction d’effectifs :

Les objectifs de réduction d’effectif et de restructuration sont de:

  • Distribuer les équipes dans les deux Nouvelles entités pour assurer que chacune d’entre elles ait les bonnes personnes adaptées au nouveau profil de la société ainsi que les équipes support requises
  • Piloter un régime financier assurant un cash-flow et des marges opérationnelles positives.

 

Country July 2022 HC Oct 2022 HC HC reductions 2023 2024 2025
Austria 1534 1541 179
Belgium 688 680  79
Bulgaria 1543 1626  0
Croatia 284 293  0
Czech Republic 382 388  0
Denmark 69 68  7
Estonia 52 49  7
Finland 116 114  6
France 11101 11203  800
Germany 8600 8585  2117
Greece 293 305  0
Hungary 114 112  0
Ireland 61 61  10
Italy 1624 1696  21
Luxembourg 69 63  0
Netherlands 2765 2700  372
Poland 6222 6326  0
Portugal 252 278  0
Romania 3459 3662  0
Slovakia 266 266  0
Spain 5425 5328  145
Sweden 74 71  7

Les allocations et réductions sont déterminées au niveau du management global. Le pilotage en est clairement financier principalement dans un objectif de réduction des coûts et sans coordination avec les besoins opérationnels des directions locales pour la continuité et le développement des activités.

Cette décorrélation du business local risque de réduire les chances d’amélioration future des résultats et semble construite autour d’un pourcentage de réduction sans rationnel clair

Les aspects clefs d’allocation ou de réduction sont délégués aux directions des pays impactées sur la base de directives globales de la direction générale. Cependant, la direction générale ne donne pas de directives précises

  • Pas de règles pour la gestion des exceptions ou d’approche individuelle pour les personnes en désaccord avec l’affectation assignée.
  • Pas de règles pour les personnes qui ont des objections à être déplacé dans leur future compagnie. Par ailleurs il est interdit (ou du moins très compliqué) de changer d’assignation entre les deux futures sociétés.

Ce pilotage expose les salariés à tous les types d’erreurs de jugement des directions locales et à une application des directives de réductions d’effectifs et de restructuration selon des intérêts court terme des directions locales, plutôt qu’à une perspective long terme appropriée à la prospérité de l’entreprise et au développement des salariés.

La direction a répondu aux questions concernant les licenciements en cours dans certains pays que ceux-ci provenaient du « business as usual » et donc de décisions locales. Le SEC est très inquiet qu’en plus de la réduction des effectifs envisagée, ce « business as usual » se poursuive en tant que méthode parallèle de réduction d’effectifs dans toute l’UE. Chaque licenciement au niveau local doit être considéré comme faisant partie des réductions d’effectifs envisagées.

Au-delà, le SEC exige des garanties sociales pour les salariés contraints de quitter l’entreprise. Ces garanties doivent aller au-delà de la législation européenne exigée et inclure à la fois des garanties financières et une aide à la reconversion professionnelle. C’est également dans ce sens que le SEC considère les licenciements intervenus au S2 2022 comme liés à la situation actuelle du Groupe.

De même, le SEC exige des garanties sociales fortes au-delà du simple minimum légal prévu au niveau national et européen pour les entreprises cédées dans le cadre de projets de cession. Là encore, des garanties en termes d’emplois, de continuité des acquis sociaux, de droits à la retraite et à la formation doivent être assurées. Les salariés n’ont pas à payer les choix stratégiques faits par le management ces dernières années ni à sécuriser les dividendes promis aux actionnaires du groupe.

Concernant ces réductions d’effectifs, le SEC rappelle les propos de la direction, précisant qu’en dehors de l’Allemagne, aucun plan social ne sera mis en œuvre. Selon la direction, l’attrition naturelle suffira à réduire les effectifs dans les autres pays, et en ce sens, la SEC demande d’inclure dans les chiffres les licenciements qui ont eu lieu dans différents pays.

L’hypothèse de la direction selon laquelle dans la plupart des pays la réduction des effectifs se matérialisera par des départs volontaires signifie en fait que :

  • Les personnes possédant les compétences les plus attrayantes quitteront l’entreprise en premier lieu, laissant des lacunes en tant qu’acteurs et difficiles à remplacer,
  • La réduction des effectifs ne sera un fait que si les postes occupés par des départs volontaires sont fermés sans remplacement, avec des activités sans plus d’objet (cas rare) ou pris en charge par les effectifs restants. L’offshoring et le nearshoring ne sont pas une solution dans ce cas, car l’effectif net resterait le même.

Les délégués demandent que les salariés qui se sentent mal à l’aise à l’idée de changer de société puissent, avec des arguments motivés, demander à rejoindre l’entreprise la plus adaptée à leurs compétences/expériences.

Une coopération étroite entre le futur Evidian et ATOS TC devrait être poursuivie non seulement pour des raisons commerciales mais aussi pour évaluer le transfert de certains salariés qui risquent de faire partie de la réduction d’effectifs chez ATOS TC et qui pourraient être des salariés potentiels pour Evidian.

Le processus pour les salariés positionnés de façon erronée dans une organisation devrait être amélioré ; il n’est prévu qu’une courte période (2 semaines à un mois) pour que le salarié évalue et se manifeste et que la direction locale concernée enquête et arbitre – mais sans possibilité d’escalade. Le responsable local peut être partial, protéger son domaine et ne pas prendre en considération la trajectoire de carrière du salarié.

Formations:

Le projet Boots aura un impact significatif sur le travail de chaque salarié d’Atos. La scission de l’entreprise fragilisera à la fois les clients et les salariés. Pour sécuriser la mise en œuvre des projets de l’entreprise et la continuité du service, un besoin de perspectives sécurisé est crucial pour l’engagement et l’implication des salariés. Un plan détaillé de formation et de perfectionnement est nécessaire. Le SEC considère que seuls des experts hautement qualifiés permettent à l’entreprise de réaliser des projets complexes et rentables.

Le SEC admet que le Cloud est une technologie clé pour notre durabilité, mais les autres domaines, tels que l’informatique de pointe, l’IA, l’apprentissage automatique, l’IoT, la blockchain, etc. ne semblent pas être au centre des préoccupations du Groupe. Non seulement des formations techniques sont nécessaires, mais également des formations sur les compétences non techniques liées aux processus de vente et d’appel d’offres, à la gestion d’équipe, à la gestion du temps, etc.

TFCo devrait utiliser la formation/le perfectionnement plutôt que les licenciements et les retraites anticipées.

Finance:

Fin 2021, du fait de résultats dégradés, la dette nette du groupe augmente à 1,2 Md€ : Le désendettement du groupe est un enjeu clé.

En juillet 2022, un nouveau deal financier est conclu avec les banques au travers de conditions de refinancement relativement favorables

  • Dans cette nouvelle opération financière, un regroupement de 25 banques ;
  • Signal fort → malgré la dégradation de la notation Standard & Poor’s, capacité à remonter le covenant (2,5 à 3,75) ;
  • Taux plutôt favorable : 160 points de base + Euribor et niveau habituel des Commissions d’engagement ;
  • Fermement engagé par les banques (directement disponibles) avec des extensions après 2023 aux mêmes conditions.

L’objectif de ce nouveau financement est de s’assurer que les liquidités d’Atos sont suffisantes pour mener à bien le projet de scission du groupe

Pour les résultats annuels 2022, alors que les objectifs de chiffre d’affaires devraient être tenus, la principale difficulté est la marge. Pour atteindre l’objectif, le groupe a mis en place des mesures défensives de réduction des coûts telles que : gel des déplacements, optimisation de l’utilisation des Subcos, gel des recrutements…

Malgré ces mesures (réduction très forte des coûts qui limite les investissements pour la compétitivité future), nous considérons que l’atteinte de l’objectif reste très « challenging».

Illustration: « Dinamo » par Alexander Rodchenko