Il est de bon ton, quand on est éditorialiste ou « expert » économique, de freiner les revendications salariales sur la base de la « boucle prix/salaires ». Nous serions revenus à l’inflation (et à ses causes) des années 1970. L’idée est assez simple : les hausses de salaires sont répercutées par les entreprises sur leurs coûts : ce qui conduit à augmenter les prix ; en retour, les salariés demandent des hausses de salaires, etc. Plusieurs points permettent d’oublier rapidement cette idée.

Il faut ne jamais avoir vécu de négociations obligatoires dans l’entreprise pour croire que le pouvoir de négociation des travailleurs est le même que ce qu’il était en 1970. Après quarante ans de destruction des collectifs de travail, la situation est bien différente, et c’était bien l’objectif des contre-réformes liées au « marché du travail ». Les salaires ne suivent pas l’inflation – c’est tout l’enjeu de la lutte actuelle portée par la CGT. L’origine de l’inflation actuelle n’a rien à voir avec les salaires. Comme le soulignent deux économistes atterrés spécialistes de l’inflation, « aujourd’hui, la hausse des prix n’est pas provoquée par une soudaine augmentation du pouvoir de négociation des travailleurs mais bien par les coûts, soit l’augmentation des prix des matières premières et les tensions sur les délais d’approvisionnement ».

Un autre élément qui n’est (qui s’en étonnera ?) jamais discuté consiste à considérer non pas les hausses de salaires pour expliquer l’inflation…mais la hausse des profits ! Pourquoi ne questionne-t-on pas le niveau de marge record (en pleine crise !) des entreprises françaises ? C’est bien de cette « boucle prix/profits », nourrie par les aides publiques aux entreprises, dont on devrait parler aujourd’hui. Comme le note le journaliste Romaric Godin, « tout cela prouve que la logique néolibérale reste puissamment à l’œuvre : la priorité des autorités demeure de sauvegarder les profits » Le nœud du problème est bien ici. Il faut assumer que derrière la question de l’inflation se cache l’enjeu (plus général) de la répartition de la valeur ajoutée, et de la part des salaires. Pour l’heure, le choix du gouvernement est bien de faire « payer »  l’inflation au monde du travail, en préservant le capital. Pour lutter contre cette « boucle prix/profit », il faut bien sûr tenir bon sur les revendications salariales (hausse du Smic, répercussion dans les branches, indexation) et les mesures d’urgence (contrôle des prix). Mais le véritable mouvement de rupture consistera à modifier le régime de production (et de propriété) pour répondre aux besoins, via notamment la planification grâce à des « pôles publics » (de l’énergie, du transport…). Sans quoi, en plus de l’inflation, nous risquons d’avoir une récession à mesure que les salaires réels (tenant compte de l’inflation) diminuent.

C’est tout le régime économique qui est aux abois et que la question des prix et des salaires vient percuter. Il est urgent d’appliquer le plan de la CGT.