Pour vraiment comprendre ce qui se passe chez Atos et dans quel état est l’entreprise, ne comptez pas sur les communications de la direction : fin juillet elle s’autocongratule sur l’amélioration de ses résultats mais annonce deux jours plus tard une cession de 60% des activités ! Clair et cohérent non ?
Voici donc un florilège des révélations et analyses parues dans la presse. Nombre d’entre elles étaient déjà émises par la CGT depuis des années. En l’espèce, ça ne nous réjouit pas d’avoir anticipé le désastre dans notre communication que la direction qualifie d’anxiogène…
Mediapart, les germes d’un scandale :
« La cession d’activités tourne à la foire d’empoigne. Actionnaires, armée, responsables politiques, tous s’opposent à cette opération floue, où les conflits d’intérêts fleurissent. Outre la vente de ses activités historiques, le groupe annonçait, contrairement à ses engagements passés, 400 millions de cession d’actifs supplémentaires. Alors qu’il excluait jusqu’alors de recourir à une augmentation de capital pour reconstruire son bilan, il déclarait le lancement d’une émission de 700 millions d’euros garantie par les banques et d’une émission de 200 millions d’euros réservée à Daniel Kretinsky.
La direction d’Atos n’a pas communiqué sur la demande de ce dernier qu’on lui paie les 800 millions de frais de restructuration évalués dans le plan présenté en 2022. Atos n’ayant pas d’argent, l’essentiel de son augmentation de capital, qui va être supérieure à sa capitalisation boursière actuelle, risque de servir à payer ces frais, il ne restera donc rien pour développer la partie conservée. Sans parler des fonds de roulement qu’Atos s’est engagé à céder avec la société. Aujourd’hui le groupe affiche des besoins de financement de plus de 800 millions, dix fois supérieurs à ses concurrents et hors de proportion avec son activité. Certains actionnaires préparent la prochaine assemblée générale extraordinaire, déterminés à obtenir la démission de B.Meunier et à faire échouer un projet qu’ils jugent ruineux pour eux et pour la société.
Ce qui se passe chez Atos est suivi de près par les militaires, voir D.Kretinsky avoir accès à des activités stratégiques leur paraît inconcevable. Ils le font savoir bruyamment : à maintes reprises, des responsables militaires ont sonné l’alarme jusqu’au sommet de l’État. Des responsables du CEA s’offusquent aussi en se demandant « comment l’exécutif peut-il perdre la tête sur un tel dossier ».
Avant même que l’opération de cession ne soit conclue, les responsables de Tech Foundations Nourdine Bihmane et Diane Galbe se sont vu proposer des plans d’intéressement sous forme d’actions gratuites par Daniel Kretinsky. D’une valeur sous-jacente de 25 millions d’euros pour le premier, de 15 millions d’euros pour la seconde, selon nos informations, ils pourront se réaliser au bout de cinq ans, en cas de succès de l’opération. Comment ces deux responsables ont-ils pu accepter de tels contrats avant que l’affaire soit conclue ? Alors qu’ils sont en situation de conflit d’intérêts manifeste, pourquoi ne se sont-ils pas au moins déportés des négociations en cours ?
De plus en plus de voix mettent en cause la pertinence des choix stratégiques et l’intérêt même d’une scission entre les activités historiques et les autres. « B.Meunier fait l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Atos est le seul groupe qui maîtrise l’ensemble de la chaîne, des infrastructures aux applications. Contrairement au discours officiel du groupe, il n’y a pas les vieilles activités de gestion d’infrastructures d’un côté et les nouveaux domaines prometteurs du digital de l’autre. Il n’y a pas de frontières claires entre les différentes activités, les unes et les autres se complètent », explique un ancien responsable d’Atos. « Il ne faut jamais avoir signé un contrat pour soutenir cette absurdité de scission. Quand vous rencontrez un client, celui-ci demande que vous vous occupiez de toute son informatique : les infrastructures, les équipements, les applications et leur mise à niveau, les systèmes de sécurité, le cryptage et le cloud. En se scindant, la société va perdre de nombreux clients. Elle ne va plus pouvoir répondre à nombre d’appels d’offres. Car elle n’aura plus les capacités de proposer des solutions globales, intégrées », analyse un autre.
Beaucoup accusent B. Meunier d’avoir cédé à la solution de facilité proposée par les banquiers et les conseils. « ceux-ci ne proposent jamais des solutions de redressement, c’est long, ils ne savent pas faire et surtout cela rapporte bien moins de commissions », ironise un connaisseur du monde des affaires. On parle de centaines de millions d’euros de frais pour cette opération.
Libération, Kretinsky à petit prix, l’Elysée conquis :
« Le milliardaire tchèque acquiert la moitié de la société informatique sans presque rien décaisser et entre au capital de l’autre moitié. C’est d’autant plus vrai que la lourde dette financière de la société – 2,3 milliards d’euros net, héritage de la période où elle était dirigée par Thierry Breton, pas sans rapport avec ses soucis actuels – sera transférée à Eviden. Des parlementaires dénoncent une opération validée par le chef de l’Etat, menaçant la souveraineté nationale.
Une autre offre pour Eviden, pilotée par le groupe français d’ingénierie Astek, lui aussi lié à certains cercles militaires, n’a même pas été étudiée. La direction d’Atos considère que ce candidat, avec ses 500 millions d’euros de revenus annuels, n’en a pas les moyens. D’autres offres comme celles de Thales et Airbus n’ont pas abouties, l’Elysée pensant que ces grands groupes ne savent pas innover, ne croit pas que l’avenir du numérique passe par eux et préfère qu’Eviden ait un avenir indépendant. »
Lettre A, le lourd héritage de la méthode Breton :
« …la dégringolade du groupe a bien démarré sous l’ère de Thierry Breton. Nombre d’indicateurs (chiffre d’affaires, marge opérationnelle, trésorerie, etc.) ont commencé à plonger significativement sous son règne, et ce, à partir de 2018. L’ancien patron d’Atos a quitté ses fonctions fin 2019 pour rejoindre la Commission européenne, mais les effets contre-productifs de sa méthode – nourrie des préconisations de McKinsey – apparaissent au grand jour. Il s’agissait d’abord de décrocher coûte que coûte des contrats avec des clients de premier rang (EDF, CEA, Safran, Engie, Naval Group…) quitte à compresser les marges. Puis, dans un second temps, de gérer (au mieux) leur rentabilité et de se rattraper en proposant des services additionnels. La direction s’est contentée de reconnaître en interne une insuffisance de suivi des contrats ainsi « qu’une mauvaise maîtrise sur certains projets. »